Du 6 au 20 décembre 2025, la ville de Drancy devient l’écrin d’une célébration picturale singulière, orchestrée par le Réseau Culturel Franco-Berbère. Au cœur du Centre Culturel Lounès Matoub, l’artiste peintre Zahira Tigtate déploie ses toiles pour une exposition intitulée « L’Art de vivre Amazigh – Une société en fête permanente ». Née à Safi et profondément attachée à ses racines d’Agadir, l’artiste propose bien plus qu’une simple galerie d’images : elle offre une plongée anthropologique et colorée dans l’âme d’une culture millénaire. À travers un style naïf faussement ingénu, elle documente, sublime et préserve l’essence d’un quotidien où le sacré et le profane s’entremêlent, invitant le public francilien à découvrir la richesse inépuisable de l’art de vivre amazigh.
Une immersion vibrante au Centre Culturel Lounès Matoub
L’événement s’inscrit dans une volonté institutionnelle de valorisation du patrimoine nord-africain en Île-de-France. En choisissant le Centre Culturel Lounès Matoub pour accueillir cette manifestation, les organisateurs ancrent le propos artistique dans un lieu chargé de symboles, dédié au dialogue interculturel et à la mémoire. Cette exposition ne se contente pas d’accrocher des tableaux aux cimaises ; elle construit un pont entre les rives de la Méditerranée, matérialisant la vitalité de la diaspora et son attachement indéfectible à ses origines.
Deux semaines pour célébrer la mémoire chleuhe
Durant quinze jours, du 6 au 20 décembre 2025, le public est convié à une exploration méthodique des traditions berbères. Le vernissage, prévu le samedi 6 décembre à 16h30, marque le coup d’envoi de cette quinzaine culturelle. L’initiative portée par le Réseau Culturel Franco-Berbère (CBF) dépasse le cadre esthétique pour toucher à la préservation identitaire. Dans un contexte de mondialisation accélérée où les spécificités régionales tendent à s’effacer, exposer l’art de vivre amazigh à Drancy relève d’un acte de résistance culturelle. Il s’agit de donner à voir, au cœur de la Seine-Saint-Denis, la persistance d’une civilisation qui a su traverser les siècles en maintenant ses rites, sa langue et ses codes sociaux.
L’exposition fonctionne comme un conservatoire visuel. Chaque œuvre sélectionnée pour l’événement participe à une narration globale, celle d’une communauté qui refuse l’oubli. Les visiteurs, qu’ils soient issus de la diaspora ou néophytes curieux, se voient offrir une grille de lecture pour comprendre les structures sociales du Souss et au-delà. Les dates choisies, juste avant les festivités de fin d’année, ne sont pas anodines : elles positionnent cette culture dans une dynamique de partage et de convivialité, des valeurs cardinales de la société amazighe que Zahira Tigtate s’attache à transposer sur la toile avec une ferveur communicative.
L’archive visuelle d’une société en fête
Le sous-titre de l’exposition, « Une société en fête permanente », offre une clé de lecture essentielle pour appréhender le travail de Zahira Tigtate. Loin d’une vision misérabiliste ou austère de la ruralité marocaine, l’artiste capture l’effervescence joyeuse qui rythme la vie communautaire. Elle peint le mouvement, le bruit des bijoux qui s’entrechoquent, les chants qui accompagnent les moissons et les mariages. Ses tableaux sont des instantanés d’un bonheur collectif, figés dans l’acrylique pour l’éternité.
Cette approche transforme la visite en une expérience sensorielle. On ne regarde pas simplement une scène de marché ou une cérémonie de henné ; on en perçoit la texture et l’atmosphère. L’artiste parvient à rendre tangible l’immatériel : la chaleur d’un foyer, la solennité d’un rite de passage, ou l’excitation d’une danse collective (Ahwach). En documentant ces scènes, Zahira Tigtate constitue une archive vivante. Elle lutte contre l’érosion de la mémoire orale en fixant sur le support physique des pratiques qui, pour certaines, tendent à se raréfier face à la modernité. L’art de vivre amazigh est ici présenté non comme un folklore figé dans le passé, mais comme une réalité dynamique, capable de se réinventer et de s’exporter, trouvant une résonance particulière dans l’espace urbain français.
Zahira Tigtate, la résistance par la couleur
L’œuvre de Zahira Tigtate se distingue par une signature visuelle immédiatement reconnaissable. Si son travail est souvent qualifié de naïf, ce terme ne doit pas occulter la maîtrise technique et la profondeur conceptuelle de sa démarche. Née à Safi, ville de potiers et de céramistes, et imprégnée de la culture d’Agadir, elle synthétise dans ses créations les influences de l’artisanat marocain et de l’observation sociale. Sa palette, riche et saturée, refuse la grisaille pour imposer une vision solaire de l’existence.
L’art naïf comme vecteur de patrimoine
Le choix du style naïf par Zahira Tigtate est une décision esthétique lourde de sens. En s’affranchissant des règles académiques de la perspective rigoureuse ou du réalisme photographique, elle accède à une vérité plus directe, plus émotionnelle. Ce style lui permet de hiérarchiser les éléments non pas selon leur taille réelle, mais selon leur importance symbolique et affective. Ainsi, un bijou, un tatouage ou un instrument de musique peut prendre une place prépondérante dans la composition, soulignant son rôle central dans l’art de vivre amazigh.
Les couleurs utilisées sont celles de la terre, du ciel et de la végétation du Maroc, mais rehaussées d’une intensité qui rappelle les tissages traditionnels ou les céramiques vernissées. Cette saturation chromatique agit comme un appel visuel, captant le regard pour mieux raconter l’histoire. L’artiste utilise la toile comme un espace de narration libre où les souvenirs d’enfance se mêlent à l’observation ethnographique. Chaque tableau est une pièce de puzzle reconstituant l’identité chleuhe. En peignant sans filtre intellectuel complexe, elle rend son art accessible à tous, démocratisant l’accès à ce patrimoine souvent méconnu du grand public occidental. C’est une forme de pédagogie par l’image, où la simplicité du trait sert la complexité du propos culturel.
Raconter le quotidien féminin
Au centre de cet univers gravite la figure de la femme amazighe. Zahira Tigtate lui rend un hommage vibrant, la positionnant comme la véritable gardienne du temple culturel. Dans ses œuvres, c’est la femme qui tisse, qui cuisine, qui danse, et surtout, qui transmet. Elle est le pilier central de l’art de vivre amazigh, celle par qui la langue et les coutumes perdurent d’une génération à l’autre. L’exposition met en lumière ces héroïnes du quotidien, souvent invisibilisées, en les parant de leurs plus beaux atours.
L’artiste porte une attention méticuleuse aux détails vestimentaires et ornementaux. Les fibules, les colliers d’ambre, les drapés des étoffes ne sont pas de simples décors ; ils sont des marqueurs d’identité et de statut social que Tigtate reproduit avec une fidélité d’archéologue. Elle peint les femmes non pas comme des muses passives, mais comme des actrices dynamiques de la vie sociale et économique. Les scènes de sororité, où les femmes se réunissent pour travailler ou célébrer, sont récurrentes. Elles témoignent d’une solidarité féminine qui forme le ciment de la société traditionnelle. En exposant ces visages et ces corps en mouvement à Drancy, Zahira Tigtate offre une tribune à ces femmes, affirmant que la modernité ne doit pas se construire sur l’effacement de ces savoir-faire ancestraux, mais au contraire, s’en nourrir pour bâtir un avenir enraciné.

