Après avoir marqué son jubilé d’argent par une immersion dans les étendues désertiques du Sahara, la Caftan week, attendue au printemps 2026, opère un virage vertical pour sa 26ème édition, délaissant les dunes pour les cimes enneigées et les vallées encaissées de l’Atlas. Ce changement de cap thématique, qui s’inscrit dans la continuité de la valorisation des terroirs marocains initiée lors de l’édition précédente, impose aux créateurs une nouvelle grammaire stylistique. Loin de la fluidité et de la légèreté associées aux climats arides, cette nouvelle itération invite à explorer la rigueur, la protection et la matérialité brute propres aux zones montagneuses, redéfinissant ainsi les codes du vêtement traditionnel pour la saison à venir.
De la dune à la cime : Changement de paradigme esthétique
Le passage de la thématique « Sahara, héritage en couture » à celle de l’Atlas ne constitue pas une simple variation géographique, mais une rupture fondamentale dans l’approche structurelle du caftan. L’édition 2025 avait mis l’accent sur la poésie du désert, invitant les stylistes à travailler sur le mouvement, inspirés par les dunes mouvantes et les ciels étoilés. Les coupes se voulaient aériennes, les tissus volatils, reflétant une adaptation au nomadisme et à la chaleur.
L’Atlas impose, par contraste, une esthétique de la sédentarité et de la résistance. L’architecture de terre, emblématique de cette région, offre une première piste de lecture pour les designers. Les Kasbahs et les Ksour, ces forteresses ocres qui jalonnent la route du Sud, sont des chefs-d’œuvre bioclimatiques conçus pour isoler et protéger. Transposée à la couture, cette influence architecturale suggère un retour à des caftans plus structurés, aux tombés lourds et verticaux, capables d’évoquer la solidité des murailles de pisé.
La palette chromatique subit elle aussi une mutation. Les bleus et les sables du Sahara laissent place aux teintes minérales et organiques de la montagne : les ocres profonds, les rouges brique et les bruns, rappelant la terre crue utilisée pour les constructions. Les matières devront répondre à cette exigence de densité. Si la soie reste incontournable, l’introduction de lainages fins, de velours épais ou de brocards rigides permettrait de coller à la réalité climatique de l’Atlas, où le vêtement d’apparat national conserve sa fonction première de protection thermique.
Zineb Aqqa : L’épreuve de la confirmation
Cette 26ème édition sera particulièrement scrutée pour la performance de Zineb Aqqa. Lauréate du prix « Jeunes Talents » lors de la Caftan week 2025, la jeune styliste a décroché son ticket d’entrée pour la cour des grands. Sa victoire, obtenue face à une concurrence rude composée de sept autres espoirs, lui a ouvert les portes du prestigieux défilé principal de l’année suivante.
Le défi est de taille pour cette créatrice qui s’était illustrée en capturant « l’âme du Sahara » à travers deux pièces inspirées par la nature brute et la beauté envoûtante du désert. Le passage d’une collection capsule à un défilé complet exige une maturité technique et artistique supérieure. Zineb Aqqa devra démontrer sa capacité à s’approprier un nouveau territoire esthétique sans renier sa signature.
L’enjeu pour la lauréate sera de traduire la rudesse de l’Atlas avec la même finesse que celle déployée pour le Sahara. Le jury de l’édition précédente, composé de figures comme Lahoucine Ait El Mahdi et Romeo, avait salué l’originalité et le savoir-faire de sa proposition. La confirmation de ce talent passera par sa capacité à intégrer les codes ruraux de l’Atlas — géométrie, symbolisme tribal, matières brutes — dans une vision contemporaine et sophistiquée du caftan, validant ainsi le rôle de tremplin que revendique l’événement.
L’artisanat rural au cœur du « Soft Power »
Au-delà des défilés, la Caftan week se positionne désormais comme une plateforme de réflexion sur l’héritage et la création. En ciblant l’Atlas, l’événement met en lumière un écosystème artisanal distinct de celui des cités impériales, souvent prédominant dans la haute couture marocaine.
Le premier axe de cette valorisation concerne l’art du tissage. Contrairement au tapis citadin de Rabat, caractérisé par sa rigueur et ses motifs orientaux centraux, le tapis rural de l’Atlas se distingue par une liberté créative absolue. Les tisseuses y intègrent des motifs berbères liés à la fertilité et à la nature, dans une approche plus intuitive. Cette spontanéité graphique offre aux couturiers un répertoire de motifs géométriques complexes, susceptibles d’être réinterprétés en broderies (zwaq) ou en passementerie, injectant une dose d’abstraction moderniste dans le vêtement traditionnel.
Le second axe majeur est celui de la bijouterie amazighe. L’Atlas est le territoire de l’argent, par opposition à l’or des villes comme Fès ou Tanger. Cette orfèvrerie, avec ses fibules et ses émaux colorés, possède une dimension protectrice et identitaire forte. L’intégration de ces éléments métalliques, non plus comme simples accessoires mais comme parties intégrantes de la structure du caftan (ceintures, attaches, plastrons), marque une rupture avec le faste parfois ostentatoire de la joaillerie citadine.
En célébrant ces savoir-faire spécifiques, l’événement consolide sa mission de préservation du patrimoine immatériel. Il ne s’agit plus seulement d’exposer un vêtement, mais de raconter l’histoire des mains qui le fabriquent, depuis les tanneurs travaillant les peaux brutes jusqu’aux artisans du métal. Cette démarche ancre la mode marocaine dans une réalité territoriale tangible, transformant le folklore en un argument de « Soft Power » culturel exportable, capable de séduire une audience internationale en quête d’authenticité et de sens.

