C’est une décision qui fera date dans l’histoire culturelle du Royaume. Réuni à New Delhi pour sa 20e session, le Comité intergouvernemental de l’UNESCO a officiellement inscrit le caftan marocain sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Plus qu’une simple reconnaissance esthétique, ce verdict scelle la protection d’un savoir-faire séculaire, véritable architecture textile portée par la virtuosité des Maâlems. Retour sur une victoire diplomatique et patrimoniale majeure qui replace l’artisanat d’art marocain au centre de l’échiquier mondial.
Une consécration historique à New Delhi
Cette victoire à New Delhi résonne bien au-delà des cercles diplomatiques. Elle vient clore un chapitre marqué par de vives tensions régionales autour de la paternité de cet habit, affirmant de manière irrévocable l’ancrage marocain de cette tradition. Le dossier défendu par la délégation marocaine s’est distingué par sa rigueur technique, démontrant que la confection du caftan n’est pas une pratique figée, mais un système vivant, transmis de génération en génération au sein des foyers et des ateliers.
En sécurisant cette inscription, le Maroc protège non seulement l’image de son habit d’apparat, mais il garantit aussi la pérennité des métiers d’art qui en dépendent. C’est une réponse institutionnelle forte à la mondialisation standardisée, rappelant que derrière chaque pièce d’exception se cache une histoire nationale singulière, impossible à diluer ou à plagier sans en perdre l’essence.
Anatomie d’un chef-d’œuvre : l’excellence du « Maâlem »
Pour saisir la portée de cette inscription, il faut plonger au cœur de l’atelier du Maâlem, le maître artisan détenteur des secrets de coupe et d’ornementation. Le Caftan marocain se distingue par une complexité structurelle qui l’éloigne radicalement de la simple tunique. Il s’agit d’une véritable architecture textile qui obéit à des codes stricts, variant subtilement entre l’école de Fès, plus classique et aristocratique, et celle de Tétouan, imprégnée d’influences andalouses et ottomanes.
Le lexique associé à cet art témoigne de sa richesse. Chaque étape de la confection porte un nom précis, intraduisible sans perte de sens. Tout commence par le choix des étoffes nobles : le brocart de soie, le velours de soie appelé Mobra, ou encore les satins duchesse. Mais c’est l’ornementation, la Sfifa, qui donne au caftan son âme. Cette passementerie, tressée souvent au fil d’or (Skalli) ou de soie végétale (Sabra), vient souligner l’ouverture frontale du vêtement, guidant le regard de l’encolure jusqu’au bas de la robe.
L’excellence réside dans les détails invisibles au profane mais cruciaux pour l’expert – et l’UNESCO. Les Aqaad, ces boutons artisanaux noués à la main un par un, forment une colonne vertébrale étincelante qui ferme le vêtement avec une élégance rythmée. La broderie, qu’elle soit Nta (le fameux tarze de Fès) ou Randa, ne vient pas simplement décorer le tissu ; elle l’ennoblit, lui donnant du relief et du poids. C’est cette alchimie entre la fluidité de la coupe et la rigidité structurante des ornements qui confère au caftan son allure royale, obligeant celle qui le porte à adopter un maintien altier, une démarche mesurée.
La tradition en mouvement : perpétuer l’héritage
L’inscription sur la liste de l’UNESCO n’est pas sa propre fin, mais un engagement pour l’avenir et une reconnaissance du passé. Le défi majeur pour la prochaine décennie sera de maintenir l’équilibre fragile entre l’innovation stylistique et le respect des canons traditionnels. Si les créateurs contemporains ont su alléger les coupes et introduire de nouvelles matières pour adapter le Caftan marocain aux exigences de la mode internationale, le rôle des conservatoires et des centres de formation professionnelle devient crucial pour que ne se perdent pas les techniques manuelles les plus complexes.
Le risque, identifié par les experts du patrimoine, serait une industrialisation excessive qui remplacerait la main du Maâlem par la machine, vidant l’habit de sa substance culturelle. La reconnaissance onusienne impose donc un devoir de vigilance : valoriser l’apprentissage, soutenir les coopératives d’artisans et éduquer les nouvelles générations à la différence entre un produit de fast-fashion et une pièce de patrimoine.
Les Marocains sont aujourd’hui responsables de faire vivre cette reconnaissance. Que ce soit lors des mariages, des fêtes religieuses ou des grands événements culturels comme le Festival International du Film de Marrakech, le caftan demeure l’étendard d’une culture qui a su traverser les siècles sans jamais se défaire de son élégance. C’est un trésor vivant, désormais universel, dont les racines demeurent profondément et jalousement ancrées dans le sol marocain.

