Le caftan, nouvel étendard des crispations entre l’Algérie et le Maroc

Dans la bataille feutrée que se livrent l’Algérie et le Maroc sur le terrain culturel, un vêtement ancestral s’est imposé comme outil diplomatique : le caftan. Derrière les broderies et les étoffes, c’est une lutte d’influence qui se joue, bien au-delà des questions patrimoniales. Et sur les réseaux sociaux, cette guerre menée en grande partie par l’Algérie prend les contours d’une stratégie d’ingérence numérique bien rodée.

Depuis le dépôt, par Rabat, d’un dossier visant à faire reconnaître le caftan comme patrimoine immatériel exclusivement marocain auprès de l’UNESCO, Alger a lancé une contre-offensive, discrète mais structurée. Pas de déclaration officielle, pas de protestation diplomatique. Mais sur X, TikTok et Facebook, un écosystème d’acteurs – influenceurs, militants culturels et pages communautaires – s’active pour contester l’initiative marocaine, nourrissant une mécanique de désinformation fondée sur le récit identitaire et l’émotion.

Des accusations sans fondement, mais à forte charge symbolique

Le premier ressort de cette mobilisation informelle a consisté à remettre en cause la légitimité de la démarche marocaine. Dès avril 2025, des publications ont émergé sur X, accusant le Maroc de réécrire l’histoire du caftan, voire de falsifier son origine. Plusieurs comptes pro-algériens ont affirmé – à tort – que l’Algérie avait déjà obtenu une reconnaissance de l’UNESCO pour une tenue équivalente, mentionnant la melhfa, la gandoura ou encore un prétendu « caftan algérien ».

En mai, la campagne s’est intensifiée. Les mêmes réseaux ont diffusé l’idée que le Maroc aurait modifié son dossier après la date limite, avec la complicité présumée d’Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO et fille d’un conseiller du roi Mohammed VI. Une accusation de favoritisme, dépourvue de toute preuve, mais largement relayée sur TikTok et Facebook, où le récit émotionnel l’emporte souvent sur la vérification des faits.

Un vêtement devenu bannière numérique

Ce qui aurait pu rester un débat d’experts sur les origines d’un vêtement traditionnel s’est transformé en une campagne de communication massive. Influenceurs, associations culturelles et médias numériques algériens se sont emparés du sujet. Vidéos de personnalités vêtues du caftan, hashtags accusateurs, détournements d’images ou photomontages : le caftan devient à la fois symbole, drapeau numérique et cri de ralliement identitaire.

Des figures connues, comme le journaliste Khaled Drareni ou l’influenceuse Sherazade Laoudedj, se font le relais de cette contestation. En juin, une pétition signée par des chercheurs et artistes algériens est largement partagée, appelant à dénoncer un « vol patrimonial ». Sur Facebook, des groupes communautaires amplifient le discours, appelant à une mobilisation collective. Le caftan n’est plus seulement perçu comme un bien culturel, mais comme un attribut d’identité nationale à défendre.

Désinformation et élargissement du front culturel

En juillet, la campagne connaît un tournant plus agressif. Certains comptes relient des personnalités internationales ou franco-maghrébines au caftan algérien pour asseoir sa prétendue universalité. L’acteur Will Smith ou encore Enzo Zidane et son épouse sont ainsi présentés – à tort – comme arborant un caftan d’origine algérienne. Ces affirmations, souvent fantaisistes, visent à légitimer le récit algérien par association symbolique.

En août, l’offensive s’élargit. Plusieurs influenceurs appellent désormais à faire inscrire d’autres éléments vestimentaires, comme le burnous, au patrimoine immatériel de l’UNESCO. L’objectif semble clair : multiplier les revendications culturelles face aux démarches marocaines, dans une logique d’occupation du terrain symbolique.

La diplomatie culturelle à l’ère des réseaux sociaux

Ce phénomène marque une rupture : les réseaux sociaux ne se contentent plus de relayer l’information, ils deviennent l’arène même de la confrontation diplomatique. Le caftan cristallise un modèle de diplomatie culturelle décentralisée. Aucune déclaration officielle n’est nécessaire : les vidéos, pétitions et contenus viraux suffisent à produire un récit collectif puissant, notamment au sein de la diaspora algérienne en France, largement mobilisée.

Ce conflit autour du caftan dépasse donc largement la sphère culturelle. Il révèle une compétition plus vaste entre deux puissances régionales, chacune cherchant à imposer sa version de l’histoire et à affirmer sa souveraineté symbolique. Et cette souveraineté, désormais, se joue autant dans les instances internationales que dans les flux algorithmiques des plateformes sociales.

La rédaction

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