Le caftan marocain : un système culturel structuré et vivant

Bien plus qu’un vêtement traditionnel, le caftan marocain incarne un véritable système culturel, ancré dans l’histoire, les savoir-faire et les pratiques sociales du Royaume. À la croisée de l’artisanat, de la spiritualité et de la création contemporaine, il constitue aujourd’hui un marqueur identitaire fort et un emblème du patrimoine immatériel du Maroc. En reconnaissance de cette richesse, le pays a soumis la candidature du caftan à l’inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.

L’art du détail au cœur de la confection

Le caftan marocain se distingue par une architecture textile élaborée, où chaque composant technique revêt une dimension esthétique et symbolique. Deux éléments en constituent les fondations : la sfifa, galon tissé à la main, et les akkâd, boutons de soie façonnés individuellement. Réalisée selon des techniques ancestrales – tissage aux cartes ou tressage aux doigts – la sfifa structure le vêtement avec une précision géométrique qui évoque le zellige marocain.

Les akkâd assurent quant à eux la fermeture du vêtement et renforcent son élégance verticale. Produits notamment à Sefrou, ces boutons constituent aujourd’hui une source de revenus essentielle pour des milliers de femmes, regroupées en coopératives artisanales.

D’autres accessoires emblématiques viennent enrichir l’ensemble : les balgha (babouches traditionnelles), les ceintures brodées, les systèmes de fermeture comme la cheddat, ainsi que des tissus nobles tels que le velours, la soie naturelle ou le brocart. Le caftan fassi, le caftan rbati ou encore celui de Tétouan reflètent une diversité régionale riche, où les styles varient selon les traditions locales et les broderies spécifiques — tarz fassi, tarz rbati, tarz tétouani — tous chargés de sens.

Transmission ininterrompue et savoir-faire préservé

La singularité du caftan marocain réside dans la continuité ininterrompue de sa transmission. Contrairement à d’autres pays du Maghreb, où les traditions artisanales ont parfois été interrompues par la colonisation, le Maroc a su préserver et faire évoluer ses métiers d’art. À Fès, des familles telles que les Ben Cherif perpétuent encore aujourd’hui l’art du tissage de tissus d’exception, comme le Khrib ou le Bahja.

Dès les années 1930, les ethnographes Jean Besancenot et Jeanne Jouin ont documenté la richesse et la diversité du costume féminin marocain. Depuis, l’artisanat du caftan s’est structuré autour d’un écosystème solide : la Maison de l’Artisan, fondée en 1957, les guildes professionnelles, les centres de formation, et des politiques royales engagées en faveur de la sauvegarde des savoir-faire.

Dans l’ensemble du Royaume, le caftan conserve une place centrale lors des moments clés de la vie : mariages, fêtes religieuses, cérémonies officielles. Des tenues comme la chedda, somptueuse parure nuptiale aux multiples déclinaisons régionales (Fès, Oujda, Tétouan…), témoignent de cette transmission vivante.

Du patrimoine au podium

Le caftan marocain ne se contente pas de traverser les siècles : il franchit aussi les frontières. Depuis les années 1960, il inspire les créateurs de mode du monde entier. Yves Saint Laurent, séduit par Marrakech, en a fait une référence stylistique. Les stylistes marocaines Tamy Tazi et Zina Guessous ont, quant à elles, réinterprété le caftan en l’adaptant aux codes contemporains sans en trahir l’âme.

Ce rayonnement a favorisé l’exportation d’autres pièces du vestiaire traditionnel marocain — djellaba, haïk — vers l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte ou encore le Sénégal. Il a aussi contribué à faire connaître et reconnaître l’excellence des artisans marocains au-delà des frontières nationales.

Aujourd’hui, des structures comme l’association Timendotes jouent un rôle majeur dans la préservation et la valorisation de ce patrimoine vivant. En formant des artisanes, en répertoriant plus de 200 motifs de sfifa, en soutenant des coopératives rurales féminines et en menant des projets artistiques internationaux, Timendotes incarne une approche inclusive et durable de l’artisanat marocain.

Un héritage à reconnaître et à transmettre

Le caftan marocain n’est pas figé dans le passé ni réduit à une fonction folklorique. Il est une architecture textile vivante, porteuse de mémoire, de spiritualité, de savoir-faire et d’émotion. Il incarne à la fois une histoire plurielle — nourrie par les influences andalouses, juives, amazighes, musulmanes — et une modernité pleinement assumée.

Sa reconnaissance par l’UNESCO ne serait pas une simple consécration symbolique, mais une étape essentielle dans la sauvegarde active de ce patrimoine vivant. Elle viendrait couronner un système culturel unique, à la croisée de la tradition, de l’innovation et de la souveraineté artisanale.

La rédaction

Cultures du Maroc est un média en ligne collaboratif porté par une nouvelle génération de passionné·e·s, déterminé·e·s à faire rayonner la richesse du patrimoine culturel marocain sous toutes ses formes.