FOMICC 2025 : Le secteur culturel marocain pèse 50 MMDH

La troisième édition du Forum Marocain des Industries Culturelles et Créatives s’est clôturée ce samedi 14 décembre à Rabat, marquant un tournant décisif pour l’économie de la création au Royaume. Organisé à l’Institut National Supérieur de Musique et des Arts Chorégraphiques (INSMAC), cet événement a réuni pendant quatre jours professionnels, institutionnels et experts internationaux pour entériner le passage d’une logique de subvention à un véritable modèle de marché productif. Au-delà des échanges protocolaires, cette rencontre a surtout permis de poser les jalons d’une stratégie visant à faire de la culture un levier de croissance autonome, capable de rivaliser avec les secteurs industriels traditionnels.

Une réalité économique chiffrée et tangible

150 000 emplois directs et 2,5 % du PIB national

Loin de l’image d’un secteur informel ou marginal, le secteur culturel marocain a dévoilé lors de ce forum sa véritable réalité économique. Les données présentées révèlent que les industries culturelles et créatives (ICC) ont généré près de 50 milliards de dirhams de revenus en 2024. Ce chiffre place désormais la culture au coude-à-coude avec des secteurs historiques comme l’industrie extractive ou le transport et la logistique en termes de contribution à la richesse nationale.

La structure de l’emploi confirme cet ancrage profond dans le tissu socio-économique. Le secteur emploie actuellement 150 000 personnes en emplois directs et génère plus de 200 000 emplois indirects. Une donnée sociologique majeure ressort de ces statistiques : la part des femmes y est particulièrement significative, représentant 34 % des effectifs globaux. Cette dynamique d’inclusion distingue nettement les ICC d’autres industries plus traditionnelles, offrant des opportunités de carrières concrètes pour la jeunesse et les profils qualifiés. Younes Boumehdi, président de la Fondation Hiba, a rappelé que derrière chaque festival, studio ou média, ce sont des trajectoires de vie entières et des écosystèmes locaux qui se construisent et se pérennisent.

Horizon 2030 : L’ambition de doubler la contribution économique

L’ambition affichée à Rabat est claire : changer d’échelle. Les acteurs du secteur visent désormais une contribution de 5 % au PIB national à l’horizon 2030. Cet objectif de doublement du poids économique ne relève pas de la simple incantation, mais d’une feuille de route précise qui nécessite des réformes structurelles immédiates.

Pour atteindre cette cible, les opérateurs réclament une adaptation de l’environnement législatif et fiscal. Le potentiel de croissance reste en effet bridé par des cadres réglementaires parfois obsolètes, inadaptés à la réalité numérique et immatérielle des nouvelles créations. La disponibilité de données statistiques fiables pour piloter les politiques publiques, des financements mieux ciblés et des règles fiscales incitatives sont identifiés comme les leviers indispensables pour libérer les énergies. Chaque point de PIB gagné dans ce domaine se traduirait mécaniquement par la création de dizaines de milliers d’emplois supplémentaires, consolidant ainsi la stabilité sociale et l’attractivité des territoires.

L’export comme nouveau levier de croissance

De l’initiative isolée à la stratégie continentale

L’un des constats majeurs de cette édition 2025 est la nécessité impérieuse de sortir de l’isolement. Le thème « Exportation des industries culturelles africaines : passer d’initiatives dispersées à une stratégie continentale » a dominé les débats. Les experts présents ont souligné que le secteur culturel marocain ne peut plus se contenter de succès sporadiques à l’export, mais doit s’inscrire dans une démarche panafricaine structurée.

La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) apparaît comme un instrument crucial pour faciliter cette circulation des biens et services culturels. L’objectif est de créer un marché intérieur africain fluide, où les créations peuvent voyager sans entraves douanières ou administratives excessives. Cette vision implique une harmonisation des stratégies nationales avec une stratégie continentale unifiée, permettant aux entrepreneurs culturels de toucher un bassin de consommation bien plus vaste que leurs marchés domestiques respectifs. Il s’agit de structurer des réseaux de distribution solides pour que la mode, le cinéma ou l’artisanat d’art africains ne soient plus de simples produits de niche à l’international.

Structurer le marché pour vendre le « Soft Power » marocain

L’exportation de la culture ne s’improvise pas ; elle exige une mise à niveau des standards de production et de commercialisation. Les discussions ont mis en lumière des fragilités persistantes, notamment en matière d’infrastructures de diffusion et de « packaging » des offres culturelles. Pour s’imposer sur la scène mondiale, le secteur doit travailler sa marque et garantir une qualité constante, capable de répondre aux exigences des diffuseurs internationaux.

Le calendrier sportif et événementiel à venir offre une fenêtre de tir historique. L’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN 2025) et du Mondial 2030 constitue une vitrine exceptionnelle pour le « Soft Power » national. Ces événements ne doivent pas être perçus uniquement sous l’angle sportif, mais comme des catalyseurs pour exposer la créativité marocaine au monde. La capacité du Maroc à transformer ces rendez-vous médiatiques en opportunités d’affaires pour ses artistes et créateurs dépendra directement de sa capacité actuelle à structurer ses filières d’exportation.

La structuration par l’entrepreneuriat et la formation

Kawaliss et l’incubation des nouveaux talents

La professionnalisation du secteur passe inévitablement par l’accompagnement des porteurs de projets. Le forum a mis en avant le rôle central de l’incubateur Kawaliss, dont la troisième cohorte a été présentée lors du marché de l’entrepreneuriat créatif. Ce programme, soutenu par l’Union européenne et le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, illustre le passage d’une aide à la création vers un véritable soutien à l’entreprise culturelle.

Au-delà du simple financement, c’est l’accompagnement technique et managérial qui prime. Les jeunes entrepreneurs bénéficient d’un encadrement sur la gestion, le marketing et la propriété intellectuelle, des compétences souvent absentes du cursus purement artistique. Des initiatives comme la soirée d’excellence, qui récompense les projets les plus aboutis, servent de baromètre pour mesurer la montée en compétence de cette nouvelle génération de managers culturels. Le succès de programmes parallèles comme le « Video Game Creator » témoigne également de la diversification des filières, intégrant désormais pleinement les industries numériques et le jeu vidéo dans la stratégie nationale.

L’INSMAC, épicentre de la professionnalisation

Le choix de l’Institut National Supérieur de Musique et des Arts Chorégraphiques (INSMAC) pour accueillir ce forum n’est pas anodin. Cet établissement incarne la volonté de l’État de doter le secteur culturel marocain d’infrastructures de formation de haut niveau. En formant les futures élites artistiques et techniques, l’institut répond à un besoin critique de main-d’œuvre qualifiée pour soutenir la croissance industrielle du secteur.

La mutation en cours exige des profils pointus, capables de maîtriser les nouvelles technologies de la scène, la data culturelle ou la gestion complexe de projets internationaux. Les ateliers pratiques dispensés durant le forum ont d’ailleurs mis l’accent sur ces compétences techniques, s’adressant directement aux étudiants et opérateurs pour les outiller face aux défis concrets du marché. C’est dans ce vivier de compétences que se jouera la compétitivité future de la culture marocaine, transformant la créativité brute en valeur ajoutée durable.