Ibn Battouta à Quanzhou : une mémoire gravée dans le granit

2025, une délégation marocaine officielle s’est rendue à Quanzhou, dans la province du Fujian, pour commémorer un héritage diplomatique séculaire. Au cœur de cette visite, le Musée de l’histoire des communications maritimes a mis en lumière une statue monumentale d’Ibn Battouta, rappelant le passage décisif du voyageur tangérois dans ce qui fut, au XIVe siècle, l’un des carrefours commerciaux les plus influents d’Asie. Ce marqueur mémoriel témoigne de la profondeur des liens historiques unissant la Chine au Maroc, bien au-delà des échanges économiques contemporains.

Zaytoun, l’escale qui a surpassé Alexandrie

Arrivé en Chine au crépuscule de la dynastie Yuan, vers 1346, Ibn Battouta découvre une métropole portuaire en pleine effervescence. Dans son récit de voyage, la Rihla, il décrit Quanzhou sous le nom de « Zaytoun ». Cette escale constitue pour l’explorateur un choc logistique et urbanistique majeur, l’amenant à réviser ses références méditerranéennes en matière de commerce maritime.

Le malentendu botanique de « Zaytoun »

L’appellation « Zaytoun », utilisée par les négociants musulmans de l’époque pour désigner Quanzhou, a longtemps suscité des interrogations étymologiques que le voyageur marocain s’empresse de clarifier dans ses écrits. Contrairement à ce que la phonétique arabe suggère, le nom ne fait aucune référence à la culture de l’olivier. Ibn Battouta note avec précision : « Cette ville ne possède pas d’oliviers, pas plus que l’ensemble des pays de Chine et d’Inde. C’est simplement un nom qu’on lui a conféré ».

En réalité, ce toponyme dérive vraisemblablement du terme chinois « Citong », désignant les érythrines. Ces arbres aux fleurs rouge écarlate ornaient abondamment les remparts de la cité au Moyen Âge. Les marchands arabes et persans, adaptant la phonétique locale à leur propre langue, ont transformé « Citong » en « Zaytoun », créant ainsi un pont linguistique involontaire entre la flore locale et l’agriculture méditerranéenne.

Sijilmassa comme point de repère

L’observation d’Ibn Battouta ne se limite pas à la linguistique. Face à l’immensité de l’infrastructure portuaire, il n’hésite pas à qualifier le port de Quanzhou de « plus grand du monde », surpassant même celui d’Alexandrie qu’il connaissait bien. Il rapporte y avoir vu « environ une centaine de grandes jonques » et une quantité innombrable de petites embarcations, témoignant d’une intensité commerciale rare.

Pour rendre compte de l’urbanisme local à son lectorat maghrébin, l’explorateur utilise une analogie frappante avec Sijilmassa, la grande cité caravanière du Tafilalet. Il relève que, tout comme à Sijilmassa, les habitants de Quanzhou construisent leurs maisons au centre de jardins et de terres cultivées, une structure urbaine aérée qui contraste avec la densité habituelle des médinas. Ses écrits confirment également l’existence d’un flux d’exportation direct et massif : les soieries (kamkha et atlas) et surtout la porcelaine chinoise partaient de ces quais pour atteindre les marchés du Maroc, traversant ainsi l’intégralité du monde connu de l’époque.

Le granit pour sceller l’histoire

Sept siècles après ce périple, la ville de Quanzhou, désormais inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, a choisi de figer cette mémoire commune dans la pierre. L’installation d’une représentation physique du voyageur au sein de l’institution muséale majeure de la ville ancre le récit d’Ibn Battouta dans le paysage contemporain chinois.

Une scénographie monumentale au Musée maritime

À l’entrée du Musée de l’histoire des communications maritimes de Quanzhou, la statue d’Ibn Battouta s’impose aux visiteurs. L’œuvre représente le voyageur tangérois debout, vêtu d’une longue robe traditionnelle et coiffé d’un turban, le regard porté vers l’horizon maritime. Il tient fermement un manuscrit, allégorie probable de sa Rihla, qui reste à ce jour l’une des sources documentaires les plus précieuses sur la Chine médiévale vue par un étranger.

Une plaque commémorative en granit noir accompagne la sculpture, résumant en chinois et en anglais l’ampleur de son odyssée : près de 120 000 kilomètres parcourus à travers 44 pays. En arrière-plan, un vaste bas-relief en pierre complète la scénographie. Il illustre l’activité portuaire du XIVe siècle, mettant en scène des jonques voguant sur les flots et des transactions entre marchands chinois et étrangers, rappelant la présence historique de communautés musulmanes permanentes structurées autour de la mosquée Qingjing, fondée dès 1009.

La diplomatie par la culture

La valorisation de cette figure historique sert aujourd’hui de levier de diplomatie culturelle. Lors de sa visite en décembre 2025, l’ambassadeur du Maroc en Chine, Abdelkader El Ansari, a souligné que cet héritage dépasse le cadre strictement académique pour nourrir la coopération actuelle. Cette dynamique s’est concrétisée par des discussions techniques entre le musée de Quanzhou et l’Espace d’exposition dédié à la mémoire d’Ibn Battouta à Tanger, situé à Borj Enn’aam.

Ce rapprochement institutionnel vise à croiser les narratifs historiques : d’un côté le point de départ du voyageur à Tanger, récemment restauré dans le cadre de la reconversion de la zone portuaire, et de l’autre son point d’arrivée oriental. En célébrant Ibn Battouta, les deux nations réactivent une « Route de la Soie » culturelle, où le dialogue des civilisations précède et facilite les échanges économiques modernes.