Dans un monde où le religieux est trop souvent instrumentalisé à des fins conflictuelles, Rabat s’affirme une nouvelle fois comme un carrefourde dialogue et de compréhension. L’Académie du Royaume du Maroc, fidèle à sa vocation de haute instance intellectuelle, ouvre ses portes du 17 au 19 décembre 2025 pour un colloque international d’une brûlante actualité : « Lire et interpréter le sacré : vers une géopolitique de l’exégèse ». Au cœur de cette rencontre, qui réunit théologiens, chercheurs et diplomates, se joue bien plus qu’un débat académique : il s’agit de redéfinir la place du texte divin dans la stabilité mondiale et de présenter une œuvre monumentale portée par l’érudition marocaine, la nouvelle traduction du Coran du Professeur Abdelhak Azzouzi.
L’Académie du Royaume, épicentre d’une diplomatie spirituelle
L’enceinte de l’Académie du Royaume ne se contente pas d’accueillir l’événement ; elle en incarne l’esprit. Depuis sa fondation, cette institution œuvre à tisser des ponts entre les civilisations, et ce colloque s’inscrit dans la continuité directe des travaux de la Chaire « Géopolitique des Cultures et des Religions », dirigée par le professeur Faouzi Skali. L’objectif affiché est de soustraire le fait religieux aux lectures superficielles qui nourrissent les extrémismes, pour le replacer sur le terrain de la science, de la raison et de l’histoire.
Une rencontre au sommet pour désamorcer les malentendus
Le choix de Rabat pour tenir ces assises n’est pas anodin. Le Maroc, fort de sa tradition de commanderie des croyants et de son Islam du juste milieu (Wasat), offre un espace approprié pour débattre de sujets sensibles. Durant trois jours, les intervenants vont décortiquer les mécanismes par lesquels une interprétation erronée ou manipulée des textes sacrés peut devenir une arme de déstabilisation massive. Il ne s’agit pas seulement de théologie, mais de comprendre comment la lecture du sacré influe directement sur les relations internationales. Les participants, venus d’horizons divers, ont pour mission d’analyser ces lignes de fracture et de proposer une approche où l’exégèse devient un outil de paix plutôt qu’un instrument de guerre.
La traduction comme acte de haute responsabilité
Le Secrétaire perpétuel de l’Académie, Abdeljalil Lahjomri, a souvent rappelé que la traduction n’est jamais un acte neutre, a fortiori lorsqu’elle touche au divin. Transposer la parole de Dieu d’une langue à une autre, c’est prendre le risque de l’altérer, mais c’est aussi le devoir de la rendre accessible. Lors de ce colloque, la question de la responsabilité du traducteur est centrale. Comment rester fidèle à la polysémie du texte coranique tout en le rendant intelligible à un esprit « français » cartésien ou anglophone ? C’est tout l’enjeu de cette « géopolitique de l’exégèse » qui postule que les mots ont un poids stratégique. Une traduction approximative peut alimenter des idéologies radicales, tandis qu’une traduction rigoureuse et contextualisée peut désamorcer bien des conflits culturels.
Vers une nouvelle géopolitique de l’exégèse
Le concept même de géopolitique de l’exégèse, qui donne son titre au colloque, invite à une prise de conscience inédite. Il suggère que l’interprétation des textes n’est pas une activité déconnectée du réel, confinée aux bibliothèques poussiéreuses, mais une force vive qui façonne les mentalités et, par extension, les politiques des nations.
L’interprétation des textes à l’épreuve du monde contemporain
Au XXIe siècle, l’ignorance du fait religieux est paradoxalement couplée à une hyper-visibilité des symboles confessionnels. C’est dans ce hiatus que s’engouffrent les discours de haine. Les travaux de l’Académie visent à démontrer que la compréhension profonde des textes nécessite une grille de lecture complexe, intégrant l’histoire, la linguistique et la sociologie. En promouvant une exégèse éclairée, le Maroc entend lutter contre le « prêt-à-penser » religieux. L’analyse géopolitique permet ici de décrypter comment certains versets sont instrumentalisés hors de leur contexte pour justifier des agendas politiques violents. À l’inverse, une lecture savante remet en lumière les impératifs de justice, de miséricorde et d’altérité qui traversent le message coranique.
Le sacré comme vecteur de dialogue universel
Loin d’enfermer les croyants dans des citadelles identitaires, le retour aux textes, s’il est bien mené, ouvre vers l’universel. La géopolitique de l’exégèse ambitionne de transformer le sacré en un terrain de rencontre. En explorant les convergences entre les grandes traditions spirituelles et en soulignant l’humanisme inhérent à la révélation, les chercheurs réunis à Rabat tracent les contours d’une diplomatie du sens. Il s’agit de montrer que la foi, lorsqu’elle est passée au crible de l’intelligence, devient un puissant levier de rapprochement entre les peuples, capable de transcender les frontières étatiques et les clivages idéologiques.
L’apport doctrinal et culturel du Professeur Abdelhak Azzouzi
L’un des temps forts de cet événement est sans conteste la présentation de l’ouvrage monumental du Professeur Abdelhak Azzouzi : Traduction et commentaire intégrale du Saint Coran. Ce travail de titan, fruit de dix années de labeur, ne se contente pas d’être une nouvelle traduction ; il est une réponse intellectuelle aux défis de notre temps.
Une traduction du Coran pour le lectorat francophone
L’ouvrage se distingue par une ambition rare : offrir au lectorat francophone une version du Coran qui respecte la double exigence de la fidélité dogmatique et de la clarté linguistique. Déclinée en trois volumes totalisant près de 3200 pages, cette somme intègre pour la première fois en français les deux grandes traditions de lecture, Warsh et Hafs. Cette précision est capitale : elle permet de saisir les nuances sémantiques qui échappent souvent aux traductions standards. Le Professeur Azzouzi, membre de l’Académie et politologue reconnu, y déploie une approche heuristique, annotant le texte de commentaires qui éclairent le sens sans l’alourdir, rendant ainsi la parole divine accessible aussi bien au musulman en quête de sens qu’au chercheur non-musulman.
L’érudition marocaine au service de l’humanisme
Avec cette publication, Abdelhak Azzouzi ne livre pas seulement un livre, mais un outil de rayonnement culturel. Il démontre que la langue française peut être un réceptacle fidèle de la spiritualité islamique, brisant ainsi l’idée reçue d’une incompatibilité linguistique ou culturelle. Cette œuvre s’inscrit parfaitement dans la géopolitique de l’exégèse promue par le Royaume : elle offre une alternative intellectuelle solide face aux lectures littéralistes. En alliant la rigueur des sciences humaines à la profondeur des sciences islamiques, cet ouvrage incarne l’excellence académique marocaine. Il rappelle que le Maroc reste une terre de production de savoirs, capable d’exporter une vision de l’Islam à la fois enracinée dans sa tradition et résolument ouverte sur la modernité.
À travers ce colloque et cette publication majeure, Rabat confirme son statut de capitale culturelle où se pense l’avenir du dialogue interreligieux, prouvant que la géopolitique de l’exégèse est une voie d’avenir pour la paix mondiale.

