L’architecture de la Grande Mosquée de Paris, inaugurée le 15 juillet 1926, ne relève pas d’un style oriental générique. Elle constitue une enclave territoriale de l’art mérinide au cœur du 5e arrondissement. La décoration, et particulièrement le travail de céramique, résulte d’une décision politique et diplomatique précise : importer le savoir-faire de Fès pour ériger un monument symbolique. L’histoire du zellige de la Grande Mosquée de Paris illustre la mobilisation des meilleures ressources artisanales du Maroc au service du rayonnement international du Royaume.
Une dynastie artisanale au service de l’État
La réalisation des décors a reposé sur une lignée spécifique d’artisans : la famille Ben Chérif. Cette famille s’est établie comme mosaïstes à Fès vers 1840, avant de diversifier ses activités vers le tissage. Leur réputation a dépassé les frontières marocaines dès le XIXe siècle. Lors de l’Exposition internationale de Paris en 1867, le Sultan a personnellement sélectionné les deux fils de Moulay Chérif pour représenter le pays.
Leur travail a marqué les esprits de l’époque. L’empereur Napoléon III a explicitement complimenté la fontaine incrustée de mosaïques présentée sur le pavillon marocain. Cette reconnaissance impériale a validé l’excellence technique de la famille, créant un précédent diplomatique. Deux générations plus tard, c’est logiquement au petit-fils de l’un de ces mosaïstes que l’administration a confié la direction de la décoration du nouvel édifice religieux parisien. Le zellige de la Grande Mosquée de Paris s’inscrit donc dans une continuité dynastique validée par le pouvoir central.
Le transfert de l’élite fassie
Le chantier de la mosquée n’a pas été une simple commande publique, mais un véritable transfert de compétences. La mobilisation des ressources humaines a été massive et documentée. L’orientaliste Louis Massignon rapportait en 1924 que le projet a mobilisé vingt des cinquante maîtres mosaïstes que comptait alors la ville de Fès.
Ce chiffre révèle l’ampleur de l’investissement marocain. Quarante pour cent de l’élite artisanale d’une capitale impériale a été déplacée en France pour assurer la qualité du zellige de la Grande Mosquée de Paris. Cette « fuite des cerveaux » temporaire démontre l’importance stratégique accordée à ce monument par le Sultan Moulay Youssef et l’administration du Maréchal Lyautey. Il ne s’agissait pas de copier un style, mais de produire une œuvre authentique in situ, avec les matériaux et les mains du sérail.
Un patrimoine extraterritorial sous surveillance
L’authenticité du monument impose une maintenance rigoureuse qui respecte les techniques d’origine. Les dégradations naturelles dues au climat parisien ont nécessité des interventions majeures au début du XXIe siècle. En 2005, une vaste campagne de restauration a été lancée pour préserver les décors.
Comme lors de la construction initiale, l’expertise locale française s’est révélée insuffisante pour traiter ces spécificités architecturales. Des artisans marocains ont été dépêchés sur place pour restaurer les pièces abîmées, le bois de cèdre et les frises géométriques. Cette opération confirme que le monument reste techniquement dépendant de sa matrice culturelle marocaine. Le maintien en état du zellige de la Grande Mosquée de Paris nécessite un lien permanent avec les centres de formation de Fès, seuls garants de l’intégrité visuelle de ce patrimoine restauré.

