Du 19 au 21 juin dernier, Essaouira a une nouvelle fois accueilli le Festival Gnaoua et Musiques du Monde, un véritable carrefour de cultures et de sonorités. Plus de 300 000 festivaliers ont répondu à l’appel de cet événement unique, s’immergeant dans la musique, la danse et la spiritualité. Pendant trois jours et trois nuits de festivités, la ville marocaine s’est métamorphosée en un espace suspendu dans le temps, entièrement dédié à l’art de la rencontre et du métissage.
Le gnaoua, une tradition séculaire
La musique gnaoua, fusion des traditions africaines et locales, puise ses racines dans l’histoire des esclaves africains du XVIe siècle. Inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, cette musique se caractérise par l’utilisation du guembri, un luth-tambour, et des qraqeb, des castagnettes métalliques. À travers ces instruments, les Maâlems (grands maîtres de la musique gnaoua) perpétuent des rituels où la guérison et l’appel aux esprits occupent une place centrale. Chaque note, chaque vibration, porte en elle l’âme d’un peuple.
Depuis sa création en 1998, le Festival Gnaoua a joué un rôle clé dans la préservation et la transmission de cette tradition. Il a su l’ouvrir au monde tout en respectant ses racines profondes, transformant ainsi Essaouira en un lieu de rencontres et de découvertes, où chaque édition est une réinvention de la musique gnaoua.
Fusion des genres et métissage musical
Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde est chaque année un espace d’expérimentation musicale où le gnaoua fusionne avec des sonorités du monde entier. Cette édition n’a pas fait exception, avec des performances marquantes comme celle de Hamid El Kasri et la Compagnie Bakalama, qui ont créé une fusion intense entre le Maroc et le Sénégal. Dhafer Youssef et Morad El Marjani ont quant à eux offert au public une exploration de territoires mystiques, avec une profondeur saisissante, tandis que le duo Houssam Gania et Marcus Gilmore a proposé une fusion jazz-gnaoua d’une rare intensité.
Les festivités ont continué avec une énergie explosive : Cimafunk et Khalid Sansi ont électrisé la foule avec leur musique afro-cubaine, et CKay a rassemblé une jeunesse cosmopolite, pleine d’énergie et de danse. En tout, 350 artistes venus de plus d’une douzaine de pays (Sénégal, États-Unis, Tunisie, France, Nigeria, Irak, Cuba, Côte d’Ivoire, Syrie…) se sont produits, accompagnés de 40 Maâlems Gnaoua.
Un festival au-delà de la musique
Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde ne se limite pas à la musique. Il incarne également un lieu d’échange interculturel et propice à la réflexion sur des enjeux mondiaux. Parmi les moments forts, le Forum des Droits Humains a permis à des écrivains, chercheurs, cinéastes et artistes d’aborder la question des « Mobilités humaines et dynamiques culturelles », un sujet essentiel pour comprendre les liens entre migration, création et appartenance.
De plus, le programme Berklee at Gnaoua Festival, en partenariat avec le Berklee College of Music, a offert à 74 jeunes musiciens de 23 pays différents l’opportunité de participer à une résidence créative, renforçant ainsi l’impact de la musique gnaoua en tant que vecteur de dialogue et de solidarité internationale.
L’émancipation féminine au cœur du Festival
La 26e édition du Festival Gnaoua a mis en lumière l’ascension des femmes dans la musique gnaoua, une tradition historiquement dominée par les hommes. Des artistes telles qu’Asma El Hamzaoui, pionnière du guembri, ont redéfini cet art au féminin avec son groupe Bnat Timbouktou. En jouant de cet instrument autrefois réservé aux hommes, Asma incarne le renouveau de la musique gnaoua.
D’autres talents, tels que Kya Loum, Abir El Abed et Rokia Koné, ont également marqué cette édition en apportant une touche moderne et féminine. Kya Loum, avec ses chants plurilingues, et Abir El Abed, qui assume pleinement sa voix unique et son apparence, délivrent des messages puissants d’émancipation. Rokia Koné, de son côté, défend l’égalité des genres à travers ses chansons. Ces artistes ont fait de la musique un moyen puissant d’affirmation et de liberté, prouvant que la musique gnaoua est désormais un espace inclusif, où l’expression féminine se mêle aux racines traditionnelles pour façonner un avenir sans frontières de genre.
Un avenir prometteur pour la musique gnaoua
Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde s’inscrit dans une démarche de préservation et de pérennisation de la musique gnaoua. Chaque année, il accueille de nouveaux talents et crée des ponts entre artistes et publics, garantissant ainsi que cette musique vivante continue d’évoluer. La Chaire UM6P des Croisements culturels et Globalisation a également offert un espace de dialogue entre chercheurs, penseurs et Maâlems, mettant en lumière l’importance de la transmission orale.
L’édition 2025 a une nouvelle fois montré que la musique gnaoua, loin d’être figée, reste un art dynamique, en perpétuelle transformation. Le Festival continue de briser les frontières culturelles, géographiques et générationnelles, offrant un espace de communion où la musique devient un langage universel.
Ainsi, le Festival Gnaoua d’Essaouira dépasse le cadre d’un simple événement musical : il est un témoignage de la résilience d’un peuple, une célébration du métissage des traditions et des générations, et un lieu de rencontre pour un monde en quête de sens. Rendez-vous est donné pour la 27e édition, du 25 au 27 juin 2026, avec la promesse de faire vibrer des rythmes qui ne connaissent pas de frontières.