L’Université Mohammed VI Polytechnique a accueilli la deuxième édition du Festival des Arts Numériques (FAN) du 24 au 30 novembre 2025 sur ses campus de Benguerir et de Khouribga. Organisé autour de la thématique « Art et Intelligence Artificielle : Convergences et Ruptures », cet événement a mobilisé artistes internationaux, étudiants et chercheurs pour interroger les nouvelles frontières de la création. Durant une semaine, les espaces universitaires et urbains se sont transformés en laboratoires d’expérimentation où les algorithmes rencontrent la sensibilité humaine, illustrant la volonté de l’institution de décloisonner les savoirs techniques et les pratiques artistiques.
Une convergence inédite entre algorithmes et émotion
L’écosystème UM6P comme catalyseur
Le FAN ne se positionne pas comme une simple exposition technologique, mais comme le résultat d’une synergie interne propre à l’université. L’événement est porté par CANCoop, une structure née au sein de l’école de codage 1337 en 2024, et co-organisé avec l’Institute for Advanced Studies (IAS) et le département Open Mind Art & Culture (OMAC). Cette collaboration tripartite démontre la capacité de l’Université Mohammed VI Polytechnique à fédérer des entités aux vocations différentes — pédagogie du code, recherche académique et développement culturel — autour d’un projet commun.
Soutenu par l’Institut français du Maroc dans le cadre de la saison « Novembre Numérique » et par le partenaire technologique Epson, le festival s’inscrit dans une dynamique internationale. L’objectif affiché est de dépasser la simple démonstration technique pour explorer comment les outils numériques, et spécifiquement l’intelligence artificielle, redéfinissent les processus de création. Le campus devient ainsi un terrain neutre où ingénieurs et artistes dialoguent, cherchant à comprendre si la machine est un simple outil ou un partenaire créatif à part entière.
La rue comme nouvelle galerie
L’un des marqueurs forts de cette édition 2025 a été la sortie des œuvres hors des murs académiques traditionnels. À Khouribga, la place Al Moujahidine a été intégrée au parcours, transformant l’espace public en une scène numérique accessible à tous les citoyens. Cette démarche d’ouverture vise à démocratiser l’accès à l’art numérique, souvent perçu comme élitiste ou complexe.
Sur les campus de l’UM6P à Benguerir, les façades des bâtiments ont servi d’écrans monumentaux pour des projections de mapping vidéo. L’architecture du lieu n’est plus seulement un contenant, mais devient le support actif de l’œuvre. Cette intégration urbaine modifie le rapport du spectateur à son environnement quotidien, la technologie permettant de réécrire temporairement la réalité physique des lieux d’études et de vie.
Têtes d’affiche : La magie augmentée en action
AI DREAM ou l’illusion 2.0
Le festival s’est ouvert sur le spectacle « AI DREAM », conçu par l’artiste français Moulla et son équipe d’Augmented Magic. Cette performance scénique illustre concrètement le thème de la convergence entre l’homme et la machine. Moulla ne se contente pas d’utiliser des écrans en fond de scène ; il fusionne la magie traditionnelle avec des dispositifs de réalité augmentée et d’intelligence artificielle.
Le spectacle explore de nouvelles formes de narration où l’illusion numérique interagit en temps réel avec les mouvements de l’artiste. La frontière entre le tangible et le virtuel s’estompe, obligeant le public à questionner la nature de ce qu’il perçoit. C’est une démonstration technique de la capacité des algorithmes à générer de la « magie » visuelle, tout en restant pilotés par une intention artistique humaine précise.
Immersion lumineuse avec la Fozemachine
Parmi les installations marquantes, la « Fozemachine » de Fred Chemmama a offert une expérience de mapping vidéo interactif. Contrairement à une projection classique que l’on consomme passivement, cette œuvre transforme l’espace en un univers visuel réactif. La lumière et les graphismes projetés entrent en dialogue avec le public et l’environnement.
L’artiste, pionnier dans ce domaine, utilise la technologie pour créer une expérience sensible et vivante. L’œuvre ne se fige pas ; elle évolue selon les interactions, rendant chaque moment de l’exposition unique. Zineb Sekkat a également investi cet espace avec son projet « Architecture Lumière », confirmant la place centrale de la lumière comme matériau de construction éphémère dans l’art numérique contemporain.
L’école 1337 : Laboratoire de la relève créative
Du code à la toile numérique
Le FAN 2025 a servi de vitrine à la créativité des étudiants de l’école 1337, le campus de codage de l’UM6P. Loin de se cantonner à la programmation fonctionnelle, ces étudiants investissent le champ artistique. Les artistes marocains Ahmed Khilad et El Mehdi Alislami ont présenté « Cosmic Drift » et « Pulse of the Game ». Ces œuvres témoignent d’une maîtrise technique mise au service d’une esthétique brute et libre.
Ces créations illustrent la capacité de l’art numérique à transcender l’espace public et à établir un langage commun entre la rigueur du code informatique et la sensibilité artistique. Le festival valide ainsi le modèle pédagogique de l’université, qui encourage les profils techniques à développer une vision artistique, prouvant que le développeur de demain peut aussi être un créateur de contenu culturel.
Réalité virtuelle et questionnements identitaires
La maturité des projets étudiants s’est également révélée à travers des thématiques complexes. El Mehdi Alislami a proposé « Millstones of Ibn Battuta », une simulation en réalité virtuelle qui revisite le patrimoine historique marocain sous un angle technologique. Cette réappropriation de la figure d’Ibn Battuta par le biais de la VR montre comment les outils immersifs peuvent servir la transmission de l’histoire.
En parallèle, l’installation immersive « What is identity? », développée collectivement par des étudiants issus de six institutions marocaines différentes, a exploré les liens entre technologie, émotion et identité. Ce projet collaboratif souligne l’émergence d’une génération de créateurs marocains qui utilisent le numérique pour interroger leur propre construction identitaire et sociale, faisant de l’UM6P un incubateur de réflexion contemporaine.
Au-delà du spectacle : Penser la machine
Débats philosophiques et éthiques
Fidèle à sa vocation universitaire, le festival a complété les expositions par un cycle de conférences et de tables rondes, transformant l’événement en une agora de réflexion. Les interventions ont abordé les ruptures et les continuités induites par les technologies créatives. Naoyuki Tanaka a partagé son expertise sur l’art robotique, questionnant la place du corps physique dans la création automatisée.
Reda Boudina et Zineb Sekkat ont débattu de la création in situ dans l’espace public, tandis que Yann Minh a exploré la dimension narrative et philosophique des intelligences artificielles. Ces échanges ont permis de nourrir une réflexion collective sur l’impact sociétal de ces outils. Au-delà de l’émerveillement visuel, le FAN a posé les jalons d’une critique constructive sur la manière dont l’art numérique peut stimuler le débat public et élargir les imaginaires face aux géants technologiques.

